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Quand l'éducatrice spécialisée s'invite au commissariat : mon regard sur une approche novatrice


Après deux ans et demi d'expérience en tant qu'Intervenante Sociale en Commissariat, je souhaite partager avec vous les points positifs ainsi que les aspects qui pourraient être améliorés de ce poste atypique. En effet, travailler en commissariat auprès de publics vulnérables tels que les victimes, les personnes âgées, les personnes en situation de précarité ou encore les enfants en danger, demande une approche particulière qui présente des avantages et des défis spécifiques.


1. Les plus-values


Un public inconnu des services sociaux


En tant qu'ISC, je suis en mesure de constater que ma présence dans ce milieu permet d'atteindre un nouveau public qui, jusqu'à présent, était inconnu des services sociaux. Cette présence permet de débloquer certaines situations de grande précarité qui n'auraient pas été résolues autrement, car les personnes concernées n'avaient pas connaissance des différents accompagnements proposés par les institutions ou éprouvaient des angoisses à s'y rendre. En tant que professionnelle de l'éducation spécialisée, je suis là pour les rassurer et les accompagner vers ces institutions.


En 2022, 62% des personnes que j'ai reçu n'étaient pas connues des services sociaux.


Facilitateur de lien


L'importance du lien entretenu avec les acteur.ice.s de terrain est indéniable dans mon travail d'ISC. Cette collaboration active permet de lever les incompréhensions et de confronter les analyses de chacun.e, traduisant ainsi la volonté de toutes et tous de travailler en proximité et de manière coordonnée.


En effet, le travail d'ISC ne peut se faire seul, mais nécessite une collaboration étroite avec les différents acteurs du territoire, qu'il s'agisse des travailleurs sociaux, des associations, des policier.es ou encore des structures d'accueil.


En travaillant main dans la main avec ces partenaires, nous pouvons ensemble repositionner l'institution "police" dans sa mission de protection des personnes, notamment celles en situation de vulnérabilité. Cette collaboration permet également d'utiliser un regard croisé pour l'appréhension de situations complexes, afin d'offrir une réponse adaptée à chaque cas.


En outre, les relations interpersonnelles renforcées grâce à ce travail partenarial permettent de faciliter les échanges et d'éviter les incompréhensions relatives aux rôles et missions de chacun.e. Le fait de créer du partenariat avec l'extérieur amène à remobiliser un travail en équipe au sein du commissariat, favorisant ainsi la mise en place de nouveaux protocoles ou façons de faire pour répondre aux besoins spécifiques des personnes en difficulté.


Déconstruction des représentations


Mon travail en tant qu'ISC implique également la déconstruction des représentations : celles des professionnel.le.s entre eux/elles, celles des professionnel.le.s envers les bénéficiaires, et celles des bénéficiaires envers les professionnel.le.s.


En tant que service public disponible 24h/7j, la police est souvent confrontée aux difficultés sociales touchant les populations les plus vulnérables, ainsi qu'aux problèmes de discriminations, de racisme et de violences.


Ce poste me permet de travailler sur les représentations de chacun, afin de garantir une action efficace et efficiente de l'ensemble des professionnel.le.s au service de la population.


Angle d’observation


La circulaire ministérielle de 2006 précise que « le statut de l’IS doit garantir son autonomie professionnelle. Le positionnement de l’intervenant au coeur des services, au plus près du travail quotidien des forces de l’ordre, ne doit pas avoir pour conséquence son placement sous l’autorité hiérarchique du chef de circonscription de sécurité publique (…). Il est placé sous l’autorité fonctionnelle du chef de service de police (…) qui fixe le cadre général de son activité et lui fournit les moyens de fonctionnement (en particulier un espace garantissant la confidentialité des entretiens). »


En tant qu'ISC, j'ai constaté que notre approche nous permet de bénéficier d'une totale indépendance dans nos observations, que ce soit vis-à-vis des policier.e.s ou des services sociaux. En qualité d'observateur.ice.s, notre perspective diffère de celle des autres parties impliquées dans l'évaluation de l'accueil et du traitement des personnes en commissariat, mais qui ne sont pas membres de la police.


2. Les pistes d'amélioration


Conditions de travail


Je suis souvent confronté.e à un grand nombre d'appels téléphoniques incessants, ce qui rend difficile de jongler entre les tâches professionnelles telles que la rédaction de rapports, la tenue d'entretiens, la gestion des relations partenariales, ainsi que la nécessité de rappeler de nombreux partenaires et personnes.


La polyvalence du poste peut parfois rendre difficile la gestion du temps de travail, surtout lorsqu'il y a un très grand nombre d'appels reçus sur notre portable professionnel en une seule journée. J'ai également tenté de mettre en place un système de réservation en ligne, mais les personnes s'en saisissent très peu.


Par ailleurs, il n'existe pas de logiciel spécifique pour les ISC, respectant les recommandations de la CNIL. Je dois donc jongler entre différents outils basiques tels que Word ou Excel (et depuis peu, Notion), ce qui ne facilite pas l'archivage, le respect du RGPD ou le suivi des situations.


De plus, je ne dispose d'aucun budget pour l'interprétariat. Cela complique énormément ma prise en charge des personnes ne parlant pas le français. Quand elles sont reçues au sein du commissariat dans le cadre d’une plainte ou d’une audition, un.e interprète est réquisitionné.e ce qui me permet d'en profiter également.


En dehors de ces cas, je dois faire appel à mon réseau de connaissances personnelles ou professionnelles, ou bien avoir recours à des logiciels tels que Google Traduction. Cela n’est pas idéal, notamment dans le cadre de violences conjugales, où les victimes ont un besoin important d’être rassurées, et d’avoir des précisions sur de nombreux détails de leur accompagnement. De plus, les orientations sont difficiles à effectuer, car il faut trouver un.e partenaire compétent.e dans le domaine nécessaire, en capacité d’avoir accès à un.e interprète.


Méconnaissance du rôle et des missions de l’ISC pour certain.e.s policier.e.s


Le commissariat dans lequel je travaille emploie beaucoup de policier.e.s, les départs et arrivées sont fréquents. Mon rôle n’est pas toujours clairement identifié par toutes et tous, et il m'incombe de toujours aller vers les policier.e.s pour me présenter et présenter mes missions.


J'ai de de nombreux contacts et échanges avec le service des plaintes, avec l’accueil et avec la Brigade Locale de Protection des Familles, mais les contacts sont plus parcellaires avec les autres services ou relèvent principalement de relations interpersonnelles. Je dois également renforcer ma communication interne auprès des services de police pour faire connaître mes missions.


Partenaires nombreux


Je travaille en partenariat avec de nombreuses personnes et services sur le territoire, ce qui est un réel atout pour accompagner au mieux les personnes. Cependant, cela peut aussi poser des difficultés.


La multiplicité des intervenant.e.s peut amener les bénéficiaires à solliciter différents professionnels et services, dans l’espoir d’une amélioration plus rapide de leur situation. Il est donc essentiel de bien se coordonner pour éviter les doublons et les discours ambivalents. Cela demande un investissement important dans le travail de partenariat.


Certain.es bénéficiaires considèrent l'ISC comme leur "référent.e unique" et reviennent systématiquement vers moi lorsque de nouvelles difficultés surgissent, ce qui peut parfois créer des incompréhensions avec les autres partenaires quant à mes missions.


Les partenariats ne sont pas toujours formalisés et reposent souvent sur des relations interpersonnelles. Cela peut entraîner une perte d'efficacité dans le partenariat institutionnel voire la fin de ce partenariat lors du départ d'un.e professionnel.le.


Je constate que les professionnel.le.s changent beaucoup, que les horaires et modalités d’interventions de certains services sont également variables, et qu'il est donc difficile de réussir à être à jour de toutes les informations.


De plus, le secteur social subit actuellement de nombreux dysfonctionnements : perte de professionnel.le.s, turn-over, burn-out, difficultés de recrutement…. Tout ceci provoque des délais de rendez-vous parfois très longs pour les personnes qui sont en attente d’une réponse rapide.


Je rencontre parfois des difficultés à trouver un partenaire disponible pour la rédaction de certains dossiers (par exemple, le dossier DALO). Après m'être renseignée auprès d’autres partenaires compétents, je me retrouve parfois amenée à les compléter avec la personne, ce qui ne fait pas partie de mes missions initiales.


En dehors des horaires classiques de travail (du lundi au vendredi de 9h à 17h), les personnes en détresse ou en situation d’urgence (notamment pour l’hébergement) se présentent au commissariat. Dans ce cadre-là (soirs, nuits, jours fériés et weekend), je me retrouve sans partenaires sociaux auprès de qui chercher des solutions, et sans moyens particuliers pour pallier ces urgences, autre que les réseaux associatifs ou bien les connaissances personnelles. Des protocoles dans le cadre de situations sociales urgentes, hors des horaires d’ouvertures classiques seraient intéressants à travailler en coordination avec les différents acteurs concernés.


Certaines victimes de violences conjugales font état de violence institutionnelle auprès de certains de mes partenaires (culpabilisation lors des « allers-retours », sentiment d’être menacées par rapport au placement éventuel des enfants…). Les violences conjugales étant un sujet complexe, des formations complémentaires pour tous.tes les professionnel.le.s concerné.e.s représentent une réelle plus-value pour éviter des maladresses auprès de ce public et pour appréhender la dimension des violences conjugales dans son ensemble et dans sa complexité.



En conclusion, après deux ans et demi passés à observer le poste d'ISC, je peux constater que ce travail est riche en expériences et en rencontres humaines. Les partenariats sont nombreux sur le territoire, ce qui permet d'accompagner les personnes dans leur parcours. Cependant, cela peut également poser des difficultés, notamment en termes de coordination et de compréhension des missions de chacun.e. La perte de professionnel.le.s et les dysfonctionnements dans le secteur social ont également un impact sur les personnes en attente d'une réponse rapide.

Malgré ces défis, je considère que ce poste est une réelle plus-value pour les personnes en situation de vulnérabilité. Les compétences de l'ISC sont précieuses dans l'accompagnement des personnes, et la mise en place de protocoles dans le cadre de situations sociales urgentes représente une piste d'amélioration à explorer.

En outre, le développement de nouveaux partenariats avec d'autres institutions, notamment dans les villes voisines, pourrait permettre de renforcer l'efficacité du réseau partenarial. Des formations complémentaires pour tous.tes les professionnel.le.s concerné.e.s, notamment sur la question des violences conjugales, pourraient également apporter une réelle plus-value.

En somme, le poste d'ISC est un travail passionnant mais qui nécessite une grande implication et une adaptation constante aux évolutions du secteur social. Les pistes d'amélioration identifiées permettront de renforcer l'efficacité de ce poste et d'offrir un accompagnement toujours plus adapté aux personnes en situation de vulnérabilité.


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